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Parmi les conséquences probables des changements climatiques, les invasions biologiques sont particulièrement redoutées. La prolifération de certaines espèces de fourmis pourraient ainsi s’avérer problématique. C’est ce qu’il ressort d’une étude menée par une équipe du Laboratoire Ecologie, Systématique et Evolution – ESE (UPSud/CNRS/AgroParisTech).

Qui pourrait se douter qu’un être aussi minuscule fasse autant de dégâts ? Sur le sujet des invasions biologiques, qui sont avec la perte d’habitat les deux principales menaces pour la biodiversité, les fourmis comptent parmi les pires des espèces envahissantes. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN), a même classé cinq espèces de fourmis dans la liste des « 100 espèces envahissantes parmi les plus menaçantes au monde ».

Malgré l’ampleur de ces menaces, très peu d’études sont disponibles sur la biologie ou l’écologie des espèces envahissantes ; et encore moins sur les évolutions que pourrait provoquer le changement climatique. D’où l’intérêt des travaux d’une l’équipe(1) du Laboratoire d’Ecologie, Systématique et Evolution – ESE (UPSud/ CNRS / AgroParisTech) qui a décortiqué les mécanismes du changement climatique influençant la répartition des fourmis envahissantes. Ces travaux montrent que certaines espèces sont plus à craindre que d’autres.

« La distribution de beaucoup d’espèces envahissantes est aujourd’hui limitée par des barrières thermiques (les températures sont trop basses pour la prolifération des espèces) et le changement climatique pourrait leur permettre d’envahir des régions jusqu’ici inhospitalières»

« La biodiversité est en train de faire face à une crise majeure », analyse Franck Courchamp, Directeur de Recherche au CNRS et responsable de l’étude. « La distribution de beaucoup d’espèces envahissantes est aujourd’hui limitée par des barrières thermiques (les températures sont trop basses pour la prolifération des espèces) et le changement climatique pourrait leur permettre d’envahir des régions jusqu’ici inhospitalières», souligne le chercheur. « Les fourmis sont une famille particulièrement intéressante à étudier de ce point de vue, avec 12 000 espèces déjà décrites, parmi lesquelles 600 observées hors de leur aire native de répartition, et 19 cataloguées comme envahissantes, c’est-à-dire dont la prolifération cause des dégâts écologiques et/ou économiques ».

Des résultats préoccupants

Selon certains modèles, le changement climatique provoquerait une augmentation de la surface potentiellement habitable par 5 des 19 espèces envahissantes de fourmis: Monomorium destructor (+ 19,7 %), Solenopsis invicta (+ 16,3 %), Paratrechina longicornis (+ 8,5 %), Solenopsis geminata (+ 7,4 %) et Monomorium pharaonis (+ 3,7 %). Des prédictions particulièrement alarmantes sachant que l’invasion de Solenopsis invicta, l’une des « 100 espèces envahissantes parmi les plus menaçantes au monde », coûterait des milliards de dollars par an aux États-Unis.

L’accélération de l’invasion de ces fourmis est une préoccupation majeure pour les écologues. Elles réduisent non seulement la diversité des espèces de fourmis locales, mais elles provoquent également le déclin des autres espèces d’arthropodes et affectent de manière négative les populations de vertébrés. À tel point que le fonctionnement de l’ensemble de l’écosystème, de la dispersion des graines à la chimie des sols, est profondément perturbé. Elles peuvent être aussi une nuisance dans les zones agricoles, réduisant la part des récoltes.

De plus, ces fourmis peuvent endommager les équipements électriques, envahir les bâtiments, mais aussi piquer les humains. Dans ce dernier cas, il y des possibilités de transmission de maladies et même des risques de choc anaphylactique pour certaines espèces, pouvant dans certains cas entraîner la mort. Elles peuvent enfin être également une nuisance dans les zones agricoles, réduisant la part des récoltes. Toutes les espèces de fourmis envahissantes ne bénéficieront toutefois pas du changement climatique.

L’étude révèle ainsi que quatre des 19 espèces de fourmis envahissantes devraient voir leur zone d’habitabilité réduite à cause du changement climatique. C’est le cas de  la fourmi de feu, Solenopsis richteri, la fourmi fantôme, Tapinoma melanocephalum, la fourmi à pattes blanches, Technomyrmex albipes, et la fourmi électrique, Wasmannia auropunctata. Les dix autres espèces envahissantes ne devraient pas voir leur aire d’invasion modifiée par le changement climatique.

Différentes échéances, différentes estimations

L’une des nouveautés de l’étude est l’utilisation de différentes fenêtres temporelles pour calculer les prédictions. Selon les conditions en 2020, 2050 ou 2080, les effets du changement climatique sur les distributions potentielles des fourmis pourraient être différents. On pourrait parfois observer au cours du temps une explosion d’une population de fourmis suivie d’un déclin rapide dans une même zone. En effet, les conséquences du changement climatique peuvent commencer par être bénéfiques à une espèce, puis qu’elle finisse par en pâtir (quand par exemple des paramètres comme la température ou l’humidité dépassent un valeur optimale, rendant le milieu progressivement défavorable après un pic idéal). (photo graphiques)

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Cette étude permet de prévenir les gestionnaires des zones à risque afin de traiter les dégâts avant qu’ils ne deviennent trop importants. En effet, localiser les zones probables d’invasion, ainsi que les zones où le risque de dégâts sera le plus important permettra de mettre en place de meilleures politiques de prévention et de mieux concentrer les efforts de lutte et de protection. Néanmoins, ces modèles ne prennent pas en compte tous les paramètres qui pourraient influencer la prolifération des fourmis. Des études futures devront intégrer les conditions microclimatiques des régions concernées, sans oublier de justifier le choix de la fenêtre temporelle de la projection.

ENCADRE

Comment créer un modèle de prédiction ?
En premier lieu, les individus recensés d’une espèce sont notés sur une carte et chacun de ces lieux d’apparition est couplé avec des données sur les variations climatiques (températures, précipitations, etc.). Les chercheurs développent alors un algorithme qui fait un lien entre la répartition actuelle des espèces et ces données climatiques. En fonction de cette relation mathématique, on peut déduire, en relation avec les prédictions sur le changement climatique, les zones futures potentiellement habitables par les espèces.

Note

1. Cleo Bertelsmeier, Olivier Blight & Franck Courchamp

Référence

Invasions of ants (Hymenoptera: Formicidae) in light of global climate change published in Myrmecol. News 22: 25-42 ; ISSN 1994-4136 (print), ISSN 1997-3500 (online) ; received 11 March 2015; revision received 28 July 2015; accepted 31 July 2015 ; subject Editor: Nicholas J. Gotelli

Cléo Bertelsmeier a été financée par une bourse Région IdD du DIM ASTREA. Le travail d’Olivier Blight a été financé par une subvention Biodiversa Eranet et Franck Courchamp a été financé par une subvention de la fondation BNP Paribas et une subvention de l’ANR.

Contact : Franck Courchamp – Laboratoire d’Ecologie, Systématique et Evolution (Université Paris-Sud / CNRS / AgroParisTech) – franck.courchamp@u-psud.fr